Une transition équitable : équilibrer les compromis vers un système énergétique équitable
L’un des plus grands défis de la transition énergétique sera la gestion des coûts inévitables. Comment parvenir à un consensus équitable pour tout le monde en essayant d’atteindre la carboneutralité?
Limiter les répercussions sur les plus vulnérables
La transformation de notre système énergétique mondial sera un investissement coûteux, mais nécessaire pour l’avenir. Cet investissement influencera les prix de l’énergie et entraînera une inflation à court terme – des coûts qui se répercuteront inévitablement sur les consommateurs d’énergie partout dans le monde. Il s’agit d’un prix substantiel qui sera ressenti par tous et toutes. Cependant, il ne sera pas ressenti de la même façon. Ceux et celles qui peuvent le moins se le permettre – particulièrement les membres les plus vulnérables de notre société du point de vue des risques climatiques ou sur le plan socioéconomique – ont le plus à perdre. Pour remédier à cela, les décideurs et décideuses doivent tenir compte d’un réseau complexe de compromis humains, économiques et environnementaux afin de tracer une voie plus accessible et plus équitable.
L’augmentation des factures d’énergie a déjà d’importantes conséquences sur les personnes les plus vulnérables. ONDE DE CHOC, l’une des plus grandes études en la matière effectuées auprès de chefs de file du secteur énergétique mondial, a révélé que 78 % des répondants croient que les prix de l’énergie sont ce qui affecte le plus les membres les plus pauvres de notre société.
Le choix de l’intervention la plus appropriée pour atténuer les impacts sociétaux est complexe et varie selon la région géographique. ONDE DE CHOC a démontré que les trois principaux mécanismes soutenus par les répondants consistent en un mélange d’interventions gouvernementales. L’approche ayant le plus fort appui est celle des prêts à faible taux d’intérêt accordés aux entreprises énergétiques pour les aider à atténuer les augmentations des prix de gros, une stratégie appuyée par des dirigeants et dirigeantes du Canada, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis. La deuxième est la réduction des factures d’énergie financée par l’impôt général, une stratégie déjà largement appliquée par les dirigeants et dirigeantes en Australie et à Singapour. La troisième approche est celle consistant à prélever des taxes sur les factures d’énergie pour subventionner les plus pauvres de la société, une approche soutenue principalement par les dirigeants et dirigeantes des Philippines.
Il est encourageant de constater que le secteur de l’énergie commence déjà à réagir aux déséquilibres sociétaux : 66 % des leaders mondiaux de l’énergie ont indiqué qu’ils et elles investissaient dans l’aide aux consommateurs qui ont de la difficulté à payer leurs factures d’énergie. De toute évidence, des leviers efficaces sont à portée de main pour atténuer les répercussions financières de la transition sur la société. Le défi à relever sera d’utiliser différents leviers à long terme pour soutenir les plus vulnérables à mesure que les coûts continueront à émerger, tout en nous adaptant à paysage énergétique complexe et changeant.
Aider les pays qui peuvent le moins se permettre la transition
Évidemment, la montée de l’inflation et des coûts de l’énergie pour les consommateurs n’est qu’un aspect du problème de l’inégalité; l’énorme fossé économique entre les pays développés et les pays en développement est un autre sujet de préoccupation à l’échelle mondiale. On prévoit que les marchés émergents deviendront les plus gros consommateurs d’énergie au monde à mesure que le niveau de vie dans ces pays continue de s’accroître. Si ces économies ne sont pas en mesure de réduire les émissions dans le contexte de leur croissance continue, il sera tout simplement impossible d’atteindre les objectifs mondiaux de carboneutralité. Il incombe donc aux puis puissantes économies de rallier le reste du monde avec elles. L’heure est à la collaboration mondiale et non à la compétition.
Les combustibles fossiles sont ce qui a rendu possible la croissance de plusieurs des plus grandes économies du monde. Aujourd’hui, les économies émergentes doivent emprunter une trajectoire différente, qui exige de concilier des priorités concurrentes comme la lutte contre la pauvreté, l’amélioration des taux de scolarisation et la fourniture de soins de santé de base, avec la nécessité d’électrifier et de décarboniser les réseaux énergétiques. Même si elles contribuent dans une moindre proportion aux changements climatiques, les nations en développement se voient imposer de renoncer à des gains économiques potentiels par l’extraction de combustibles fossiles – un compromis qui risque d’aggraver la disparité actuelle.
Mais il soulève tout de même une question cruciale : comment dissocier la prospérité future de la dépendance à l’égard des combustibles fossiles? Appuyer la transition aux énergies renouvelables dans les économies émergentes peut créer de nouvelles possibilités de partenariat et d’innovation. C’est une occasion d’uniformiser les règles du jeu de l’économie mondiale, en faisant en sorte que les pays qui possèdent les ressources partagent leurs richesses, leurs technologies et leurs talents au-delà des frontières avec leurs voisins en développement pour permettre une transition plus juste et plus équitable.
Par le passé, nous avons vu des pays en développement devancer les pays développés parce qu’ils n’avaient pas cette dépendance à des infrastructures existantes. En effet, les pays en développement ont la possibilité de redéfinir plus facilement leurs systèmes énergétiques, étant donné qu’ils n’ont pas à composer avec les mêmes réseaux énergétiques en place. Cela ouvre une voie potentiellement plus rapide vers de nouvelles solutions innovantes.
Gérer les conséquences d’une concurrence mondiale accrue
L’ambition de réaliser une transition équitable est aussi entravée par les politiques nationales qui perturbent la dynamique mondiale. Les politiques qui ne sont pas en phase avec le reste du monde risquent de créer une incertitude et un déséquilibre supplémentaires dans le système énergétique.
La loi historique sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act ou IRA) aux États-Unis, par exemple, offre d’importantes mesures de relance aux industries vertes et promet de catalyser les efforts de décarbonisation. Toutefois, pour bénéficier de cette loi, les producteurs d’énergie propre et de stockage doivent satisfaire aux critères « Made in America ». En donnant la priorité à l’industrie nationale, la législation a encouragé une concurrence agressive au-delà des frontières. Or, un projet de loi de cette nature, adopté par une puissance économique, a des conséquences pour le reste du monde, en particulier pour les partenaires commerciaux.
Par exemple, les fabricants d’équipements pour des produits comme les panneaux solaires et les batteries de stockage en Europe ne sont actuellement pas subventionnés par l’Union européenne (UE). L’IRA risque d’inciter ces entreprises à quitter le continent pour s’installer aux États-Unis. C’est un défi que l’Europe doit aborder avec prudence : comment l’UE peut-elle encourager les fabricants à rester tout en maintenant une relation mutuellement avantageuse avec les États-Unis? Ultimement, une approche plus collaborative et coordonnée nous aidera à relever le défi mondial d’équilibrer soigneusement la concurrence mondiale, la géopolitique et les objectifs de la transition énergétique de façon équitable à l’échelle mondiale.
Garder la lumière allumée : le compromis environnemental
Compte tenu des nombreux facteurs en jeu, les interventions visant à atténuer les effets de la crise énergétique sur les citoyens et citoyennes ne doivent pas être envisagées indépendamment des objectifs de décarbonisation ou de durabilité. Par exemple, certaines mesures visant à renforcer la sécurité de l’approvisionnement et à alléger la pression économique ont des effets potentiellement néfastes sur l’environnement. Pour atténuer la crise de sécurité actuelle, certains gouvernements ont rétabli ou prolongé la production de combustibles fossiles, tandis que d’autres continuent d’accélérer leurs investissements dans la production et le stockage de sources d’énergie renouvelable. Ces stratégies énergétiques contradictoires soulignent l’importance d’un système énergétique plus équilibré et plus résilient, capable de résister aux chocs et de mieux répondre à la transition potentiellement mouvementée qui s’annonce.
Au-delà de la sécurité énergétique, les efforts d’adaptation au climat peuvent avoir des conséquences inattendues qui risquent de contrecarrer les efforts de réduction des émissions de carbone. Les minéraux nécessaires à la fabrication de technologies propres en sont un exemple. Le lithium, le cuivre et les terres rares sont tous essentiels pour les câbles de transmission, les conducteurs des turbines et les batteries; cependant, leur processus d’extraction peut être intensif et avoir des répercussions négatives sur les communautés et les écosystèmes locaux. Si elle n’est pas adéquatement réglementée, la demande croissante pour ces matières entraîne de graves conséquences, comme le déplacement des populations locales, la pollution et l’épuisement des sources d’eau locales.
Dans le contexte actuel, la sécurité d’approvisionnement, les perturbations sociales et les impératifs environnementaux exigeront de prendre certaines décisions qui sembleront contre-intuitives à une transition énergétique accélérée. Alors que la production et le stockage des énergies renouvelables se poursuivent, il faudra une approche raisonnable et rationnelle pour maintenir le cap vers la carboneutralité tout en équilibrant l’accès et l’équité.
Tracer une voie équitable
Des cadres de politiques intelligents et des interventions gouvernementales ciblées sont d’importants tremplins pour la résilience et les filières énergétiques à travers le monde. Selon 76 % des dirigeantes et dirigeants du secteur de l’énergie interrogés dans le cadre de la campagne ONDE DE CHOC, le rôle qu’a à jouer le gouvernement dans la crise énergétique actuelle est plus important que jamais. Le passage à un système énergétique résilient, robuste et à faibles émissions de carbone aura sans aucun doute des répercussions sur la société, qui obligeront les gouvernements et l’industrie à travailler ensemble.
Ce n’est que par une collaboration radicale entre les acteurs, les secteurs et les autorités que nous pourrons soutenir tous les types de communautés, et surtout celles qui en ont le moins les moyens, sur la voie d’un avenir juste et équitable. Au bout du compte, transition équitable sera synonyme de transition durable.
Ce n’est que par une collaboration radicale […] que nous pourrons soutenir tous les types de communautés, et surtout celles qui en ont le moins les moyens, sur la voie d’un avenir juste et équitable. Au bout du compte, transition équitable sera synonyme de transition durable.